Les deux principaux rivaux à l'élection présidentielle ont proclamé la victoire avant même l'annonce définitive des résultats.
"On a gagné!" L’Afghanistan frappé du syndrome électoral iranien? Il semblerait, si l’on tient compte des réactions victorieuses des deux principaux candidats en lice, le président sortant Hamid Karzai, 51 ans, et son opposant le Dr Abdullah Abdullah, 48 ans. Faisant ainsi fi des recommandations de la Commission européenne qui "encourageait tous les candidats à l’élection présidentielle à s’abstenir de faire des annonces prématurées sur un résultat possible".
Peine perdue. Dès jeudi soir, le camp du président sortant Hamid Karzai donnait le coup d’envoi en annonçant sa victoire. Talonné de près par son principal opposant et ex-ministre des Affaires étrangères, le Dr Abdullah Abdullah, qui affirmait lui aussi être victorieux. En réalité, les résultats définitifs devraient être connus le 17 septembre prochain. Des officiels afghans ont affirmé que des résultats préliminaires pourraient être néanmoins annoncés aujourd’hui. Résultat, la plus grande confusion, orchestrée par les deux candidats principaux eux-mêmes d’ailleurs, régnait vendredi en Afghanistan. Dans les rues désertes de Kaboul, seuls les checkpoints de la police afghane rappelaient jeudi que la ville était sous haute tension pour les élections présidentielle et provinciales. A peine quelques échoppes ouvertes et des cerfs-volants dans un ciel bleu azur, au-dessus des montagnes. La capitale afghane, d’ordinaire si bruyante et poussiéreuse, semblait vide, comme un jour férié. A un détail près: la menace des insurgés. Menace que tous les habitants de la capitale afghane avaient bel et bien en tête, avant d’aller "peut-être" accomplir ce droit civique chèrement acquis: voter. La rumeur ne disait-elle pas, dès mardi, que quelque 200 kamikazes se tenaient prêts à se faire exploser? Craignant que les journalistes n’affolent les électeurs, le gouvernement les avait sommés de ne pas parler des incidents à travers le pays, le jour de l’élection. Contre toute attente, cette censure n’a pas été nécessaire. En dehors d’une fusillade faisant deux morts parmi les insurgés, la capitale afghane est restée étonnamment tranquille le jour du scrutin. Au total, 135 incidents ont été enregistrés dans une quinzaine de provinces, faisant 26 morts, dont 17 membres des forces de sécurité afghanes et 9 civils. Lycée Zaikhona, dans le quartier populaire de Shar-e-Naw, à Kaboul. La rue a été interdite à la circulation et la police quadrille le périmètre. Le responsable se lamente: "A peine plus de 10% de participation, en cette fin de matinée." Même abstention massive dans une petite mosquée verte de Qala-e-Fatullah, un coin résidentiel, avec environ 500 votants pour 2000 personnes enregistrées. Les menaces des taliban semblent avoir porté. Il y a pourtant quelques votants courageux mais discrets. Comme ces ombres bleues qui s’avancent dans le bureau de vote. Au fond, pour une fois cet habit de prison va leur servir. Derrière l’isoloir en carton, des femmes illettrées qui ont osé venir relèvent habilement leur burqa pour trouver leur favori. Elles parcourent d’un doigt noirci à l’encre la liste des photos et des signes attribués à chaque candidat. Le bulletin est grand comme un calendrier des pompiers. Comme les hommes, rares sont celles qui acceptent d’être prises en photo. Ces votants redoutent la colère des taliban et leur châtiment. N’ont-ils pas affirmé qu’ils couperaient la main de tous ceux qui iraient voter? Vers 16h30, alors que les centres de vote commencent à fermer, Shinkai Zahine Karokhail, une parlementaire engagée, s’avance dans la cour de récréation du lycée Zaikhona, au centre de Kaboul. Elle semble animée du devoir bien accompli. Mieux, elle est "très heureuse". Mais on saisit très vite qu’elle fait allusion à cette journée sans incident plutôt qu’au taux de participation, qu’elle ne connaît d’ailleurs pas, mais qu’elle redoute. Dans les équipes des bureaux de vote de toute la ville, les organisateurs sont également soulagés et ravis. "Il n’y a eu aucun problème aujourd’hui!" lance Farzana, une étudiante volontaire. "Les Afghans se sont montrés confiants et sont sortis voter!" annonçait fièrement Aleem Siddique, le porte-parole de l’Unama, au soir de l’élection. "Aujourd’hui, les ennemis de la démocratie ont échoué et le peuple afghan a gagné", concluait-il.La rue a été interdite à la circulation
Le bulletin est grand comme un calendrier des pompiers
Personne ne doute ici que la fraude aura son mot à dire dans cette élection. La question est de savoir dans quelles proportions. Alors, si Hamid Karzai passe dès le premier tour, tout le monde s’accorde à dire qu’un "Téhéran bis" est bien possible. Les kalachnikovs en plus! (Le Journal du Dimanche, 22/23 août 2009)
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